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Loi “sécurité globale” : Que prévoit l’article 24 ?

18 janvier 2021

La tâche à laquelle nous devons nous atteler, ce n’est pas de parvenir à la sécurité, c’est d’arriver à tolérer l’insécurité, car il ne sera tout simplement jamais possible d’assurer une sécurité globale” (Erich Fromm).

Quelle est l’origine de cette proposition de loi ?

A titre liminaire, une précision sémantique s’impose. La proposition de loi doit être distinguée du projet de loi :

  • La proposition de loi : elle est initiée par les membres du Parlement, c’est-à-dire par le pouvoir législatif.
  • Le projet de loi : il est initié par les membres du Gouvernement, c’est-à-dire par le pouvoir exécutif.

Si l’origine de la loi “sécurité globale” est parlementaire, d’où sa qualification de proposition de loi, l’ajout de plusieurs dispositions par Gérald Darmanin, notamment sur la protection des forces de l’ordre, a conduit à une remise en cause de la nature de ce texte, assimilé à un projet de loi par certains opposants politiques. Cette loi demeure toutefois une proposition.

Présentée par le parti majoritaire LREM et son allié Agir, cette proposition de loi est une traduction législative d’un rapport parlementaire consacré au “continuum de la sécurité vers la sécurité globale”, rendu par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue.

La proposition de loi “sécurité globale” intègre également les inquiétudes des forces de l’ordre, remontées à la suite des récriminations des syndicats policiers, reçus le 15 octobre par le Président Emmanuel Macron, à la suite de l’attaque aux mortiers d’artifice du commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Il en résulte une demande de protection accrue des fonctionnaires de police.

Quel est l’état d’avancement législatif de cette proposition ?

Le texte de loi n’a pour l’instant franchi que la première étape de la navette parlementaire. Pour rappel :

  • Le gouvernement avait engagé une procédure accélérée le 26 octobre 2020 ;
  • La proposition de loi a été adoptée le 24 novembre 2020 par les députés en première lecture ;
  • Il reviendra ensuite aux Sénateurs de se prononcer sur ce texte en janvier.

Que contient cette loi et comment s’organise-t-elle ?

Le texte de loi n’a pour l’instant franchi que la première étape de la navette parlementaire. Pour rappel :

  • Le gouvernement avait engagé une procédure accélérée le 26 octobre 2020 ;
  • La proposition de loi a été adoptée le 24 novembre 2020 par les députés en première lecture ;
  • Il reviendra ensuite aux Sénateurs de se prononcer sur ce texte en janvier.

Que contient cette loi et comment s’organise-t-elle ?

La loi “sécurité globale” recense un large éventail de mesures, lui donnant un côté “fourre-tout”. Voici les principaux thèmes abordés :

  • Sur les pouvoirs de police municipale :
    • Le texte envisage la création d’une police municipale et l’optimisation d’une mise en commun entre les communes des policiers municipaux.
    • Le texte prévoit également une expérimentation sur trois ans, permettant aux policiers municipaux de constater par procès-verbal certains délits, d’immobiliser des véhicules, et de saisir des objets.
  • Sur le contrôle de la sécurité privée : Cette préoccupation s’inscrit notamment dans le cadre de la préparation de grands événements comme la Coupe du monde de rugby en 2023 ou les Jeux olympiques de 2024. Le texte vise à limiter la “sous-traitance en cascade” dans la sécurité privée, et à renforcer les compétences du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps).
  • Sur la vidéoprotection, les caméras piétons, et les drones :
    • Les services pouvant visionner les images de vidéoprotection sont élargis ;
    • Les règles encadrant l’usage par les policiers et gendarmes des caméras piétons sont revues ;
    • Un régime juridique de l’usage des drones par les forces de l’ordre, actuellement pratiqué en l’absence de cadre clair, est mis en place.
  • Sur les sanctions en cas d’agressions ou de diffusion de l’image des policiers : C’est l’objet de l’article 24, au cœur de la polémique.

Que prévoit concrètement l’article 24 ?

Le texte est rédigé de la façon suivante :

“Le paragraphe 3 du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par un article 35 quinquies ainsi rédigé :

  • Art. 35 quinquies. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police.
  • L’article 35 quinquies de la loi du 28 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne font pas obstacle à la communication, aux autorités administratives et judiciaires compétentes, dans le cadre des procédures qu’elles diligentent, d’images et éléments d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale.”

Concrètement, l’article 24 pénalise la diffusion de “l’image du visage ou tout autre élément d’identification” d’un policier ou d’un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter “atteinte à son intégrité physique ou psychique”. Rappelons qu’actuellement, “les policiers ne peuvent pas s’opposer à être filmés sur la voie publique”, conformément à la circulaire du 23 décembre 2008.

L’article introduit ainsi un délit de diffusion de tout élément d’identification des membres des forces de l’ordre. Ce nouveau délit doit toutefois respecter le cadre juridique suivant :

  • Il s’exerce “sans préjudice du droit d’informer” ;
  • Il implique de caractériser une intention manifeste de nuire ;
  • Il ne concerne pas la divulgation du numéro d’identification individuel (RIO).

Pour quelles raisons cet article est-il autant controversé ?

Si la loi “sécurité globale” fait l’objet d’une telle controverse, c’est parce que l’article 24, et son délit de diffusion d’éléments d’identification des forces de l’ordre, vont à l’encontre du maître-mot sur lequel repose l’équilibre entre le respect des droits et libertés fondamentales et l’ordre public, à savoir le principe de proportionnalité.

Ce n’est qu’à la seule lumière de ce principe qu’une atteinte justifiée et proportionnée aux droits et libertés fondamentales est envisageable.

Or, ce principe directeur se trouve bafoué par les dispositions litigieuses de cette loi, en ce que l’atteinte à plusieurs droits et libertés fondamentales est manifestement disproportionnée au regarde de l’objectif visé.

Certes la protection des forces de l’ordre est une préoccupation qui ne saurait être négligée, mais les atteintes suivantes, en plus d’être excessives, n’apportent pas de réponse adéquate à cette préoccupation :

  • Sur l’atteinte à la liberté d’expression, de presse et d’informer : La commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe estime qu’une telle interdiction “constitue une atteinte au droit à la liberté d’expression, laquelle inclut la liberté d’informer, et elle est de nature à aggraver la crise de confiance entre une partie de la population et une partie des forces de l’ordre, ce qui ne saurait concourir à la protection de ces dernières”. C’est la raison pour laquelle le Conseil de l’Europe exhorte le Sénat à amender le texte de loi. A ce titre, la liberté d’informer prend vie grâce à la contribution de nombreux vidéastes, professionnels ou non, notamment au cours des épisodes de manifestations, où la diffusion massive de vidéos dans les médias et sur les réseaux sociaux, qui suggère un usage illégitime de la force, permet la saisine de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Ces vidéos constituent ainsi un précieux fondement d’investigation.
  • Sur le conflit d’intérêt manifeste : Le ministre de l’intérieur insiste sur la préservation du droit de filmer les forces de l’ordre en intervention, et sur l’absence d’interdiction de transmission des images aux autorités administratives et judiciaires : “Si vous voyez un problème qui relève du Code pénal, vous aurez le droit de le filmer et de le transmettre au procureur de la République”. La difficulté réside toutefois dans le risque d’une auto-censure. En effet, avant que ces images et vidéos ne soient remontées aux autorités administratives et judiciaires, les forces de police constituent le premier échelon d’appréciation de ces pièces, pièces dont l’objet porte sur ces mêmes forces de police. Ces dernières se retrouvent à la fois juge et partie, créant ainsi un conflit d’intérêts contraire à la défense des justiciables et, de fait, aux grands principes du procès français.
  • Sur l’affaissement d’un contre-pouvoir essentiel : La démocratie française repose sur un système de séparation des pouvoirs qui prône une “limitation du pouvoir par le pouvoir”. A cet égard, les forces de l’ordre étant détentrices de l’autorité étatique, les contre-pouvoirs avec lesquels elles doivent composer se trouvent limités. La possibilité de filmer les forces de police incarne donc une forme d’autosurveillance, incitant à un exercice professionnel éthique. C’est par exemple sur la vidéosurveillance que repose la prévention des dérives en matière de contrôle d’identité qui, pour rappel, ne peuvent être opérés que dans certaines conditions légalement et limitativement prévues. Dans cet optique, le Défenseur des droits Claire Hédon souligne que “l’information du public et la publication d’images relatives aux interventions de police sont légitimes et nécessaires au fonctionnement démocratique”.

Quelles sont les issues possibles de cette controverse ?

Le premier ministre Jean Castex a déjà annoncé son intention de saisir le Conseil constitutionnel sur l’article 24 après son adoption définitive par le Parlement. Cette saisine a pour objet de contrôler la conformité des dispositions d’un texte de loi à la Constitution.

Il existe deux types de contrôles de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel :

  • Le contrôle de constitutionnalité a priori : Ce contrôle intervient antérieurement à la promulgation d’une loi. Le Conseil constitutionnel peut être saisi, dans un délai d’un mois avant la promulgation de la loi, par 60 députés, 60 sénateurs, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Premier ministre, ou le Président de la République. C’est une saisine par voie d’action.
  • Le contrôle de constitutionnalité a posteriori : Ce contrôle, instauré par la révision Constitutionnelle de 2008, intervient postérieurement à la promulgation de la loi, à l’occasion d’un contentieux. La question de la conformité de dispositions législatives à la Constitution doit être soulevée par l’une des parties du litige. C’est une saisine par voie d’exception, incarnée par la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Ainsi, lorsque le premier ministre Jean Castex envisage la saisine du Conseil constitutionnel, c’est du contrôle a priori dont il est question.

Rédaction : E. MARANT